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Mai 2003 – Participation au livre d’artiste “Parlons un peu de tout, touchons un peu à tout, regardons le tout ”. Sélection de textes faîte par les étudiants de maîtrise d’arts plastiques et Pierre Baumann.

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Préface:

Iggy, on ne fait pas toujours ce qu'on dit.

 

J'aime bien les oeuvres qui sont étagères ; des lieux de dépôt capables d'accueillir des objets apparemment sans importance.
Un jour de janvier 1987, Bertrand Lavier a raconté à Alain Coulange qu'on lui dit souvent : « Vous parlez bien de votre travail. » et d'expliquer qu' « On pense que c'est une plus value. C'est faux ! Tous les artistes « pénétrés » de ce qu'il font parlent très bien de leur travail ».1
De quelques choses l'une : tout plasticien actif est un as de la littérature et de la rhétorique. Mais à quoi bon écrire si cela n'a que peu de vertus explicatives. Ou alors, l’articulation n'est pas bonne et autant en tirer une conclusion plus séduisante. Les artistes ne parlent pas de leur travail pour l’expliquer. Ils accordent aux mots des dimensions conceptuelles et plastiques capables de poursuivre ce que le travail conduit. En d'autres termes cette action est un travail artistique en soi (autant garder cette formule pour le moment pour qualifier l'oeuvre) qui peut participer à l’entreprise poïétique.

Acte de création plastique et verbalisation de son travail sont dès lors deux traces d'une pensée qui s'interroge et s'affirme comme la contribution à une stratégie globale de recherche. Cette pensée réaffirme que l’acte de création reste avant tout un engagement attentif aux choses des autres. Il n'est pas ce débordement de pulsions intuitives et intimes censées délivrer ce qui fermente désagréablement au fond de soi. Ces considérations activent le rapport à l’écrit qu'appelle le cadre universitaire et pose la pratique plastique comme un outil opérationnel capable d'expérimenter, de confirmer, d'infirmer et de reformer.

L'écrit d'artiste rend facile la création quand il parle de travail, là ou le théoricien écrit sur l'oeuvre. Peut-être est-ce parce que l’artiste a toujours conscience que l'oeuvre ne se pose pas inconsidérément et immédiatement, mais par l’accumulation de petits faits laborieux et somme toute faciles à entreprendre. L'observateur, s'il n'accepte pas cette aisance de l’acte artistique, laisse à l'oeuvre le sens de son incapacité à faire. L'écrit d'artiste a toujours la force et la maladresse de qualifier à nouveau son rapport à la création. Le lire rassure l’étudiant plasticien à qui on impose d'écrire. Le lire permet de qualifier l’espace de recherche en Arts plastiques en apportant sa série de questions. Écrire sur son propre travail plastique permet d'apporter quelques réponses à ces interrogations : pourquoi écrire si ce n'est pas pour apporter une plus value à son travail ? Quelles sont alors les autres nécessités ? Quel engagement plastique ? Que choisir de dire ? Quels sont les rapports possibles entre écrit et poïétique ? Que penser des vertus motrices de l'un sur l’autre ? Que penser de ces échanges dans le cadre d'une recherche en Maîtrise ?

Les quelques textes choisis qui suivent rendent compte d'une partie d'une activité menée sur une année universitaire à la règle du jeu fort simple : venir à chaque fois avec un texte qui parle de son activité plastique, quelle qu'en soit la forme, quelle qu'en soit la teneur, quelle qu'en soit la longueur; réponse ou non à des propositions d'écrits d'artistes, et le lire.
« Parlons un peu de tout. Touchons un peu à tout. Regardons le tout. »
Leur formule a la conscience d'un engagement parcellaire mais attentif et créatif ; faiblesse aux yeux de celui qui n'accorde pas le temps à la création de s'installer. Chaque texte est autonome et il participe à la fabrication d’un ensemble dont le sens reste à prendre.
Tout au long de ces séances de travail, j'ai souvent pensé aux étagères. Je suis une étagère, tu es une étagère, l'oeuvre est une étagère, (...), à savoir un objet anodin qui dit peu -parce que c'est toujours ce qui est sur l'étagère qui est important Il faut du temps pour accepter cet aussi peu que quelques plans assemblés qui délivrent surtout ce qui s'y dépose. L'espace ainsi fabriqué garde toujours de ce respect mutuel nécessaire à la sauvegarde d'un geste créatif aux apparences faciles. On fabrique tous des étagères. Imi, Iggy et compagnie.


Pierre Baumann, mai 2003.


1- LAVIER Bertrand, Conversations 1982-2001, éd. MAMCO, Genève, 2001, p122.

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